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1770-1778. Carte de Cabinet du comte de Ferraris

La carte de Cabinet est la première carte topographique couvrant l’ensemble de la Belgique (dans les délimitations des Pays-bas autrichiens, y compris les Principautés ecclésiastiques de Liège et de Stavelot – Malmedy). Elle a été dressée sous les ordres de l’artilleur général-comte de Ferraris (Lunéville 1726 – Vienne 1814), par une petite équipe qui a compté entre 97 et 178 personnes. C’est une carte manuscrite, réalisée à la très grande échelle de 1/ 11 520 (1 pouce de France pour 160 toises). Il en existe trois exemplaires, qui étaient destinés à l’Impératrice, au gouverneur-général Charles de Lorraine et à la Chancellerie. Ils sont respectivement conservés à la Nationaal Archief de La Haye, à la Bibliothèque royale à Bruxelles et à la Kriegsarchiev de Vienne. L’ensemble des feuilles de la carte originale a été publié une première fois entre 1965 et 1974 par le Crédit communal. Une nouvelle édition de la carte a été publiée par les éditions Lannoo – Racine, avec la Bibliothèque nationale de Belgique et l’Institut géographie national, en 2009. On peut se référer à ce dernier ouvrage pour une description détaillée de la légende de la carte, mais la distinction entre terres de culture, terres entourées de haies, prairies, bois, étangs est assez intuitive, de même que la représentation des jardins, des vergers et des alignements d’arbres ou de haies le long des chemins et des routes et bâtiments. Notons que la représentation des terres arables par des traits parallèles est purement conventionnelle et ne représente pas les parcelles, alors que les délimitations par des haies – un élément particulièrement utile pour une campagne militaire – sont conformes à la réalité. Les chemins creux se distinguent par le grisé qui les longe, comme pour l’actuelle rue des Trois Tilleuls. Le relief n’est pas représenté, sinon par des grisés qui soulignent les versants des vallées.

 

Pour réaliser sa carte, Ferraris a procédé à des mesures et levés de terrain à la planchette. Il a aussi disposé de levés ponctuels antérieurs, de documents cadastraux, d’informations fournies par les autorités locales. Du point de vue de la géodésie, il s’est raccordé à la carte que Cassini de Thury venait de réaliser pour la France, pour laquelle il avait construit un bon réseau de triangulation, qui avait été étendu par les Français entre 1746 et 1748 dans l’ouest de la Belgique, durant la période de leur occupation pendant la guerre de Succession d’Autriche. Il a pu avoir connaissance de ces travaux grâce au renversement d’alliances qui a rapproché la France de l’Autriche en 1756. De la sorte, les déformations de la carte de Ferraris par rapport à une géodésie correcte augmentent en s’éloignant des frontières françaises et en allant vers l’est du territoire belge.

 

La carte présentée ici est constituée de fragments de deux feuilles de la carte originale : celles d’Uccle (n° 77) et de Neeryssche (n° 94). On y a superposé en pointillés blancs les limites communales actuelles de Watermael-Boitsfort et d’Auderghem, en les ajustant éventuellement à des éléments topographiques de la carte (chemins, éléments hydrographiques, etc.) quand ces éléments fondent à l’évidence la genèse de ces limites. La carte de Ferraris permet d’observer que ces limites communales sont déterminées par les délimitations paroissiales d’Ancien régime (on devrait plutôt dire par les relevances paroissiales des feux : en effet, il n’y a pas à l’époque de délimitation linéaire formelle des paroisses, mais chaque feu, c’est-à-dire chaque ménage, de fait chaque maison, dépend d’une paroisse dont les habitants relèvent pour les actes religieux, qui se confondent alors avec des actes administratifs (baptêmes, mariages, enterrements) ou des obligations fiscales (paiement de la dîme). La carte de Ferraris mentionne ces relevances : les églises paroissiales sont marquées d’un numéro en rouge (78 pour Saint-Clément). Les hameaux ou écarts portent un numéro qui renvoie à la paroisse dont ils dépendent.

 

La seule exception que l’on peut observer sur la carte en termes de discordance entre les limites communales et les appartenances paroissiales des immeubles à la fin du XVIIIe siècle se situe à l’ouest de l’actuelle chaussée de Boitsfort, plus ou moins à la hauteur de l’avenue du Pérou : cet endroit est noté comme dépendant de Saint-Clément, alors que lors des délimitations communales réalisées durant la période française il a été rattaché à Ixelles (et donc plus tard à Bruxelles lors de l’annexion par la ville en 1907 du territoire couvrant le site de l’Exposition universelle de 1910 et de son extension vers le sud, l’axe de l’actuelle avenue Roosevelt). Remarquons que le hameau de Boendael (Boondael) porte le numéro 92, qui le rattache à la paroisse Saint-Pierre d’Uccle. La genèse complète des limites communales est exposée dans l’onglet « Le territoire communal ».

 

La carte délimite par un tireté noir les territoires dépendant du domaine du Souverain (ASM, à Sa Majesté). Ces territoires domaniaux sont d’une extension considérable sur Watermael-Boitsfort et Auderghem. Ils dépassent les limites actuelles de la Forêt de Soignes, puisqu’ils englobent aussi les parties de celle-ci qui seront aliénées entre 1822 et 1843, période durant laquelle la Forêt a été cédée par le roi Guillaume Ier des Pays-Bas à la Société Générale. C’est le cas pour les espaces couverts aujourd’hui par l’ancienne propriété Bischoffsheim, le plateau de la Foresterie, la partie de la Forêt située à l’ouest de l’actuelle rue du Buis et du sentier d’Auderghem et, sur le territoire d’Auderghem, les terrains situées à l’ouest de l’ancienne route de Boitsfort à Auderghem (actuelles avenues Van Horenbeek et des Frères Goemare), ainsi que ceux du quartier du Parc des Princes (Blankedelle). Remarquons que les territoires appartenant à Sa Majesté n’incluaient pas la partie de l’actuelle Forêt de Soignes située au nord du Rouge-Cloître (ainsi que le long du chapelet d’étangs et de zones humides s’avançant jusqu’à la source de l’Empereur), qui dépendaient du Prieuré de Rouge-Cloître. C’est la limite des terrains appartenant à Sa Majesté qui a déterminé la frontière communale entre Auderghem et Tervuren. Les territoires domaniaux incluaient aussi quelques enclaves à l’ouest du village de Boitsfort, qui relevaient certainement de l’administration de la Vénerie, de part et d’autre de la drève du Duc, sur le plateau du Jagersveld et au bas de l’actuelle rue du Pinson. En revanche, quelques enclaves forestières n’appartenaient pas au Domaine : une partie du versant au nord du vallon des Enfants-Noyés, certains étangs du vallon du Vuylbeek.

 

La carte de Ferraris montre clairement que le noyau bâti de Boitsfort, avec son tentacule s’étendant vers le sud le long de la chaussée de La Hulpe en direction du Coin du Balai, est le plus important de la paroisse. Celui d’Auderghem (Auwerghem), allongé le long de la chaussée de Wavre et entre celle-ci et le Prieuré de Val-Duchesse, vient en deuxième position et Watermael seulement en troisième : ce dernier est un ensemble au bâti lâche, étiré le long du Watermaelbeek jusqu’au Spoel (le carrefour du Dries et de la chaussée de Boitsfort). Tant à Watermael qu’à Auderghem, les lieux de culte, Saint-Clément et la chapelle Sainte-Anne, sont en position assez excentrique par rapport au noyau bâti. Hors de ces trois noyaux et des deux prieurés, le bâti dispersé est rare : la ferme Tercoigne, le château de Watermael, Terlinde, Schoenenberg (= le hameau du Lammerendries), Tenreuken et, enclavé dans la forêt, les Trois Fontaines.

 

La carte de Ferraris est accompagnée de « Mémoires historiques, chronologiques et oeconomiques ». Si ces mémoires fournissent une description sommaire des territoires cartographiés et de leurs ressources, celle-ci est sous-tendue par des considérations militaires et stratégiques. Les mémoires décrivent le relief, l’état des chemins, des ponts, les ressources locales, les possibilités en termes de campements, tous  éléments susceptibles d’avoir un intérêt pour des armées en campagne. Nous reprenons ici les commentaires des « Mémoires » de la feuille d’Uccle qui concernent  Watermael-Boitsfort et Auderghem et la région où ces deux communes sont situées.

 

[Ces commentaires concernent les établissements religieux]

Auwerghem, à portée du hameau de ce nom, est un Prieuré de filles de l’ordre de St. Dominique fondé en 1262 en l’honneur de la Sainte trinité, par Aleyde, veuve de Henry III, Duc de Lothier et de Brabant. Le cœur de ce prince y est enterré.

Celui de Rouge-Cloître que l’on trouve à l’orient du village de Waetermal, fut fondé en 1371 pour des chanoines réguliers de l’ordre de St. Augustin par Wenceslas et Jeanne, Ducs de Brabant.

 

[Le commentaire suivant concerne l’ensemble de la feuille d’Uccle]

Le commerce dominant des habitans de ce pays, consiste en bois, grains et principalement en froment et légumes le gain qu’ils en font, joint à celui du gros bétail, les fait vivre fort à leur aise entre ces différentes productions, il y croit encore beaucoup de trefles, ce qui augmente la quantité de fourage de la meilleure espèce qu’on recueille dans toutes les prairies. Les bois, dont la plupart sont mêlés de haute futaye et de taillis rendent annuellement du chêne, du hêtre et du bois blanc en abondance, tant pour le chauffage, que pour la charpente ; de plus une grande partie de la forét de Soigne appartenante à S.M. est aussi d’un grand soulagement aux pauvres gens, par l’avantage qu’ils ont d’en pouvoir transporter tout le bois mort. On remarque que le sol qui est en partie gras et argilleux, est beaucoup meilleur pour la croissance des bois que pour la culture des terres qui y sont cependant fertiles, et influe sur les différentes qualités des chemins qui sont presque tout fort mauvais pendant l’hiver et les tems pluvieux, mais praticables en autre saison.

 

Références :